mercredi 6 janvier 2016

Confession d'un Masque * - Une petite nouvelle imaginée par Anna Lombard


Selon la formule consacrée, toute ressemblance avec des événements de la vie réelle n’est que fortuite.

Au cours des années 80, Anaïs travaille dans une agence de voyages à mi-temps. Elle est occupée un après midi le dos tourné à la clientèle, quand elle entend une voix grave, un peu gutturale, au timbre fin comme posé sur un fil. Elle se retourne et elle croise le regard d’un homme de haute taille, à la petite quarantaine. Avant qu’elle ne puisse terminer sa pensée « Oh mais il est mignon ! », il engage la conversation sur un ton un peu véhément, qui a pour effet immédiat de la figer, comme terrorisée. Il poursuit et s’éloigne. Quelques instants plus tard, ils se rencontrent à nouveau dans l’agence avec les mêmes manifestations de causes à effets. Après son départ, Anaïs s’adresse à un collègue pour demander : « C’est qui ? Il est toujours comme çà ? » Gérard : « Ben … ».

Quelques mois plus tard, l’homme se présente au guichet d’Anaïs : il est mignon, bronzé. D’emblée, de sa jolie voix grave, il tonne la raison de sa visite. Anaïs est surprise car elle perçoit le ton de la question comme une réprimande. En même temps, elle devine l’attention des clients qui patientent, car l’homme parle vraiment très fort sur un mode qu’on pourrait assimiler à du mécontentement. Mais il n’y a pas d’erreur de commise. Alors, Anaïs assimile son attitude à de la suffisance, et elle se raidit. L’entretien se poursuit presque comme une invective. Elle essaie de garder son calme tout en souhaitant qu’il s’en aille très vite. Plus tard, à la remarque   : « Il me met mal à l’aise … ». Georges répondra : « Anaïs, parfois, les hommes … ».

Mais l’éducation désastreuse d’Anaïs sévit, elle ne comprend pas. Et aucun membre du personnel de l’agence n’osera lui expliquer que, non, Dominique n’est pas toujours comme çà, que le ton de sa conversation est seulement l’expression de sa sensibilité. Parce que tous ses collègues connaissent la précarité de sa vie familiale, ils se taisent, espérant ainsi la protéger. Pourtant, ils apprécient l’homme parce qu’ils savent qu’il gère son activité professionnelle avec conscience et honnêteté. Et ils s’étonnent de le voir si malaisé à engager une relation avec Anaïs. Sans doute parce que Dominique est habitué à ce que les femmes le sollicitent : il n’a pas appris à courtiser, à séduire, à faire monter le désir.

Les années passent. Anaïs est victime d’un accident du travail dont le traitement médical fautif est indemnisé grâce à une négociation dont elle ignore les règles. Elle constate cependant sa mise à l’écart de toute relation sociale. Pour cela, toutes ses communications téléphoniques entrantes sont dirigées sur une ligne annexe où on explique la situation. Tous ses amis font ainsi connaissance pour former « la bande des Amis d’Anaïs ». Laquelle compte parmi ses membres, Dominique, qui est rapidement approché par une jeune femme entreprenante dont il devine les desseins malhonnêtes. Première tentative.

Clément, le fils d’Anaïs, doit gérer la liquidation matérielle des biens des amis de sa mère qui disparaissent en lui léguant leur patrimoine. Et malgré la différence d’âge, une amitié se tisse entre Clément et Dominique chargé de la déclaration des successions. Les adversaires d’Anaïs en prennent ombrage et imaginent un scénario aussi abjecte que méchant, digne d’une bande dessinée de bas de gamme : ils téléphonent à la Chambre en expliquant qu’ils soupçonnent des malversations. Comprenez : Clément et Dominique bidouillent les testaments. Alors une enquête est ouverte qui les innocente facilement. Deuxième tentative.

Un jour, Anaïs se décide à entrer en contact avec Dominique pour lui soumettre les anomalies de la succession de son père. Curieusement, dans un premier temps, elle n’obtient pas de réponse. Elle le relance, et quelques jours plus tard, trouve sur sa boîte vocale un message qui lui fixe un rendez-vous. L’entretien est agréable (l’homme a baissé sa garde), très professionnel, et Dominique confirme : « il n’y a pas de chats à fouetter dans ce dossier ! ». A son retour, un ami fidèle questionne Anaïs qui répond sur un ton badin : oui, elle le trouve bel homme, oui, elle se verrait sortir avec lui. A partir de là, la machine s’emballe.

Les adversaires d’Anaïs versent une somme d’argent à Dominique pour le remercier de l’avoir reçue, puis ils promettent d’autres versements s’il parvient à lui faire accepter le mariage. Et ils payent un premier acompte. Dominique encaisse l’argent, et aussitôt, il est convoqué devant un conseil de discipline organisé par ses pairs. Ces derniers lui reprochent sa compromission et l’informent qu’ils vont porter plainte pour association de malfaiteurs contre lui et Anaïs à qui ils reprochent de ne pas vouloir écrire la lettre qui mettrait fin au règlement de la négociation. Pour faire court, ils pensent qu’ils s’entendent pour gagner de l’argent. Et les esprits malintentionnés se lâchent : Anaïs aimerait sortir avec Dominique en raison de sa fortune personnelle. Une question toutefois s’impose : par qui la Chambre a-t-elle été informée ?

Dominique avait un job intéressant, des amis, des relations, une position sociale reconnue, mais il avait le tort d’être honnête. Son histoire pourrait s’assimiler à une chasse à l’homme : à la troisième tentative, ils l’ont eu !



 * Titre de Yukio Mishima








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