vendredi 6 novembre 2015

Sur la Route des Epices


Il y a quelques semaines, j’ai assisté à la rencontre littéraire riche en saveurs organisée par Carole, dont les épices étaient le thème central. Intervenante gapençaise talentueuse, présence de Madame le Maire, photos du Dauphiné ET apéritif délicieux concocté par Josiane, l’hôtesse du gîte établi dans l’ancien presbytère, situé à 200 m de la bibliothèque.

Un des ouvrages qui illustrent la petite exposition apprend que les flibustiers, réputés rustres et cruels, avaient une cuisine raffinée puisqu’ils pillaient sans vergogne, comme chacun sait, les lourds navires qui convoyaient vers l’Europe les marchandises de l’Orient et du nouveau monde : or, argent, tabac, soie, épices ... « Dans un flamboiement de mots et de mets, un chatoiement d’odeurs et de saveurs, l’auteure fait revivre la véritable épopée gourmande des flibustiers, forcément épicée, comme la vie qu’ils menaient ».

Dés la Haute Antiquité, les peuples côtiers de Méditerranée se livrent à la piraterie.

C’est une femme, le pharaon Hatshepsout, qui organise les premières grandes expéditions à destination du sud de l’Arabie ou des côtes somaliennes. Cotonnades, huiles et épices s’échangent contre corail méditerranéen et ambre de la Baltique. Les épices font fureur, des banquets aux bagages de la reine de Saba (en visite chez Salomon).  Ce dernier, dans Le Cantique des cantiques parle d'un jardin où poussent « aromates et grappes de senteur, thym, marjolaine, safran, cannelle, romarin, aloès et myrrhe et toute épice parfumée » (ch.4 ; v. 12-15)Par la suite, les Crétois puis les Grecs succombent à leur tour : onguents, huiles parfumées, la beauté n’a pas de prix.  Les Romains ne s'y trompent pas non plus.  À Rome, c’est un raz-de-marée de poudres colorées, et Apicius se damnent pour les plaisirs de la table. 


 Puis, les Arabes deviennent les intermédiaires incontournables entre Orient et Occident, échangeant esclaves contre musc ou girofle dont ils tirent des fragrances recherchées. L'arrivée de l’Islam se fait  sous l'égide des épices dont on dit qu’elles constituaient le fond de commerce de Khadija, première épouse du Prophète. Habiles diplomates, les Arabes s'allient Gênes et Venise pour contrôler ensemble le commerce des épices et leur importation en Europe.

Un goût de paradis ! C’est ce qu’apportent les épices au Moyen Âge, des aliments venus de l'autre bout du monde, des contrées merveilleuses où se situe l'Éden. 


On utilise le piment pour ouvrir l'appétit, la cannelle pour faciliter la digestion et le clou de girofle pour calmer la douleur quand le repas s’avère trop éprouvant ( !). Leur usage permet en outre de mieux conserver la viande et de masquer le goût faisandé des aliments. Présentes dans les confiseries, gâteaux et boissons, ces miettes de plantes deviennent un signe de réussite sociale car elles sont « chères comme poivre » et rendent la facture salée ! Elles servent de monnaie d’échange, au point d’être à l’origine de notre expression « payer en espèces / épices » . En vacances à la Grande Motte, j’ai voulu acheter du beurre. A la caisse, je dis au crémier :
-          - Votre beurre est fondu.
-         -  Payez en liquide !
-          - Si vous liquidez votre beurre, vous devez baisser le prix. 
-          - Vous, vous voulez le beurre et l’argent du beurre.
-          -Non, je n’ai pas demandé une dation en liquide, j’ai demandé une liquidation : parce que, de vous à moi, le prix est plutôt salé.
-          - C’est normal, c’est du demi-sel !
-          - Je n’ai pas besoin de sel, c’est juste pour mettre du beurre dans mes épinards.
-          - Dans les épinards, il y a du fer, çà n’empêche pas d’y mettre du sel.
-        - Oui : le sel-fer, je sais l’faire. Mais c’est quand même cher : je peux vous payer à crédit ?
-          - Non, on paye toujours comptant.
-          - Oui, mais justement je ne suis pas content.
-          - Alors contentez-vous de payer cash.
-          - L’argent cash, c’est pour les produits cashers ?
-          - Non, c’est pour les produits pas chers : vous me donnez une pièce.

Comme je n’ai qu’un billet, je le donne au crémier qui me le rend … en pièces. Ce crémier ne respecte même pas l’argent. J’avais très bûcher pour gagner ce billet, et il me le rend en pièces trébuchantes. Je suis sonné. La prochaine fois je prendrai de la margarine.  (Christian d’Expressio.fr). 

Et les hommes n’ont de cesse d’alterner diplomatie et violence pour parvenir à mettre la main sur les fameuses épices. Cette première mondialisation entraîne dans son sillage aromatisé les plus grandes puissances soudainement avides de petits plats relevés.
A partir du VIIIe siècle, des pirates opérent dans des mers plus septentrionales (Baltique, mer du Nord) : les Normands sont parmi les pirates les plus actifs de l’Occident. Mais c’est le XVIIème siècle qui devient l’âge d’or des pirates dans l’océan Atlantique.


A cette époque, les galions espagnols chargés de richesses d’Amérique du Sud attirent les convoitises. Apparaissent alors de nouveaux pirates, les flibustiers, qui s’associent pour piller les navires et les côtes des colonies espagnoles d’Amérique ; ils sont ainsi appelés Frères de la Côte. Ils sévissent sur la mer des Caraïbes, les Antilles et l’Amérique Centrale. Les flibustiers français de l’île de la Tortue et les flibustiers anglais de l’île de la Jamaïque sont célèbres, surtout pendant la première moitié du XVIIème siècle, où ils écument les Antilles et les côtes du Venezuela.

Les pimentades sont la base de la cuisine caraïbe. Les premiers qui se risquent à consommer croient perdre la raison. Ceux qui veulent résister, préserver l’ordre ancien, ses modes et ses paraîtres, boudent ces mets violents et vulgaires, disent-ils. Les autres, déclassés, déportés, gens de boucane et de flibuste mettent un point d’honneur à les mâcher à pleines bouchées. Bienvenue au Nouveau Monde où règne sans partage Sa Majesté Piment, de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de toutes les formes : poivrons, piment de Cayenne, piment oiseaux, piment banane, piment bouc, piment lanterne (ou bonda man’jacques -qui était donc cette Mme Jacques dont le postérieur, probablement généreux, a donné son nom au piment-  dixit l’auteure). Dés lors, on prête aux piments mille vertus : ils préviennent fièvres et infections, redonnent moelle et nerfs, ardeur dans les ébats et cœur au ventre.

Mais ce n’est pas tous les jours dimanche dans la flibuste. Soumis aux hasards des combats, des attentes de proies de passage, des fuites et des replis quand l’Espagnol a le mauvais goût de résister, les canailles de ce métier à risques connaissent quelque disette. Affamés, ils se résignent à manger lézards, crocodiles, singes, agoutis … ou encore, souliers, gants, poches de cuir, graisse de mâts et cordages …


 Et le flibustier boit en abondance. Flacons, cruchons, tonneaux, rien ne peut éteindre le feu qui le dévore, feu des batailles, des canons, des villes incendiées, des piments jamais assez puissants, feu d’une vie consumée dans l’instant comme si doublons, pièces de huit, bijoux, lingots doivent être dépensés, oubliés. Ces redoutables coureurs des mers savent aussi goûter aux douces consolations : des desserts, des compotes, des confitures relevées d’épices, de musc et d’ambre. Leur cuisine haute en couleurs est, comme leur histoire, originale et savoureuse. On raconte que des flibustiers hollandais, furieux de ne trouver ni or ni argent dans le navire qu’ils viennent d’enlever en 1585, jettent à l’eau des sacs remplis de matière brunâtre et rêche qu’ils prennent pour du crottin de chèvre.  Un siècle plus tard, cette marchandise –le cacao- vaut de l’or .
  








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