Il
y a quelques semaines, j’ai assisté à la rencontre littéraire riche en saveurs
organisée par Carole, dont les épices étaient le thème central. Intervenante
gapençaise talentueuse, présence de Madame le Maire, photos du Dauphiné ET
apéritif délicieux concocté par Josiane, l’hôtesse du gîte établi dans
l’ancien presbytère, situé à 200 m de la bibliothèque.
Un
des ouvrages qui illustrent la petite exposition apprend que les flibustiers, réputés
rustres et cruels, avaient une cuisine raffinée puisqu’ils pillaient sans vergogne,
comme chacun sait, les lourds navires qui convoyaient vers l’Europe les
marchandises de l’Orient et du nouveau monde : or, argent, tabac, soie, épices ... « Dans un flamboiement de mots et de
mets, un chatoiement d’odeurs et de saveurs, l’auteure fait revivre la
véritable épopée gourmande des flibustiers, forcément épicée, comme la vie
qu’ils menaient ».
Dés la Haute Antiquité, les peuples côtiers de Méditerranée se
livrent à la piraterie.
C’est une femme, le pharaon Hatshepsout, qui organise les
premières grandes expéditions à destination du sud de l’Arabie ou des côtes
somaliennes. Cotonnades, huiles et épices s’échangent contre corail
méditerranéen et ambre de la Baltique. Les épices font fureur, des banquets aux
bagages de la reine de Saba (en visite chez Salomon).
Ce dernier, dans Le Cantique
des cantiques parle d'un jardin où poussent « aromates et grappes de senteur, thym, marjolaine, safran,
cannelle, romarin, aloès et myrrhe et toute épice parfumée » (ch.4 ;
v. 12-15). Par la suite, les Crétois puis
les Grecs succombent à leur tour : onguents, huiles parfumées, la beauté
n’a pas de prix. Les Romains ne s'y trompent pas non plus. À Rome, c’est un raz-de-marée de poudres
colorées, et Apicius se damnent pour les plaisirs de la table.
Un goût de
paradis ! C’est ce qu’apportent les épices au Moyen Âge, des aliments
venus de l'autre bout du monde, des contrées merveilleuses où se situe
l'Éden.
On utilise le piment
pour ouvrir l'appétit, la cannelle pour faciliter la digestion et le clou de
girofle pour calmer la douleur quand le repas s’avère trop éprouvant ( !).
Leur usage permet en outre de mieux conserver la viande et de masquer le goût
faisandé des aliments. Présentes dans les confiseries, gâteaux et boissons, ces
miettes de plantes deviennent un signe de réussite sociale car elles sont « chères
comme poivre » et rendent la facture salée ! Elles servent de monnaie
d’échange, au point d’être à l’origine de notre expression « payer en
espèces / épices » . En vacances à la Grande Motte,
j’ai voulu acheter du beurre. A la caisse, je dis au crémier :
- - Votre beurre est fondu.
- - Payez en liquide !
- - Si vous liquidez votre beurre, vous
devez baisser le prix.
- - Vous, vous voulez le beurre et l’argent
du beurre.
- -Non, je n’ai pas demandé une dation en
liquide, j’ai demandé une liquidation : parce que, de vous à moi, le prix
est plutôt salé.
- - C’est normal, c’est du demi-sel !
- - Je n’ai pas besoin de sel, c’est juste
pour mettre du beurre dans mes épinards.
- - Dans les épinards, il y a du fer, çà
n’empêche pas d’y mettre du sel.
- - Oui : le sel-fer, je sais
l’faire. Mais c’est quand même cher : je peux vous payer à crédit ?
- - Non, on paye toujours comptant.
- - Oui, mais justement je ne suis pas
content.
- - Alors contentez-vous de payer cash.
- - L’argent cash, c’est pour les produits
cashers ?
- - Non, c’est pour les produits pas
chers : vous me donnez une pièce.
Comme je n’ai
qu’un billet, je le donne au crémier qui me le rend … en pièces. Ce crémier ne
respecte même pas l’argent. J’avais très bûcher pour gagner ce billet, et il me
le rend en pièces trébuchantes. Je suis sonné. La prochaine fois je prendrai de
la margarine. (Christian d’Expressio.fr).
Et les hommes n’ont
de cesse d’alterner diplomatie et violence pour parvenir à
mettre la main sur les fameuses épices. Cette première mondialisation entraîne
dans son sillage aromatisé les plus grandes puissances soudainement avides de
petits plats relevés.
A partir du VIIIe siècle, des pirates opérent dans des mers plus
septentrionales (Baltique, mer du Nord) : les Normands sont parmi les pirates
les plus actifs de l’Occident. Mais c’est le XVIIème siècle qui devient l’âge d’or des
pirates dans l’océan Atlantique.
A cette époque, les galions espagnols chargés de richesses d’Amérique
du Sud attirent les convoitises. Apparaissent alors de nouveaux pirates, les
flibustiers, qui s’associent pour piller les navires et les côtes des colonies
espagnoles d’Amérique ; ils sont ainsi appelés Frères de la Côte. Ils
sévissent sur la mer des Caraïbes, les Antilles et l’Amérique Centrale. Les
flibustiers français de l’île de la Tortue et les flibustiers anglais de l’île
de la Jamaïque sont célèbres, surtout pendant la première moitié du XVIIème siècle, où ils écument les Antilles et
les côtes du Venezuela.
Les pimentades sont la base de la cuisine caraïbe. Les premiers
qui se risquent à consommer croient perdre la raison. Ceux qui veulent
résister, préserver l’ordre ancien, ses modes et ses paraîtres, boudent ces
mets violents et vulgaires, disent-ils. Les autres, déclassés, déportés, gens
de boucane et de flibuste mettent un point d’honneur à les mâcher à pleines bouchées.
Bienvenue au Nouveau Monde où règne sans partage Sa Majesté Piment, de toutes
les tailles, de toutes les couleurs, de toutes les formes : poivrons,
piment de Cayenne, piment oiseaux, piment banane, piment bouc, piment lanterne
(ou bonda man’jacques -qui était donc
cette Mme Jacques dont le postérieur, probablement généreux, a donné son nom au
piment- dixit l’auteure). Dés lors, on prête aux piments mille
vertus : ils préviennent fièvres et infections, redonnent moelle et nerfs,
ardeur dans les ébats et cœur au ventre.
Mais ce n’est pas tous les jours dimanche dans la flibuste.
Soumis aux hasards des combats, des attentes de proies de passage, des fuites
et des replis quand l’Espagnol a le mauvais goût de résister, les canailles de
ce métier à risques connaissent quelque disette. Affamés, ils se résignent à
manger lézards, crocodiles, singes, agoutis … ou encore, souliers, gants,
poches de cuir, graisse de mâts et cordages …
Et le flibustier boit en abondance. Flacons, cruchons, tonneaux,
rien ne peut éteindre le feu qui le dévore, feu des batailles, des canons, des
villes incendiées, des piments jamais assez puissants, feu d’une vie consumée
dans l’instant comme si doublons, pièces de huit, bijoux, lingots doivent être
dépensés, oubliés. Ces redoutables coureurs des mers savent aussi goûter aux
douces consolations : des desserts, des compotes, des confitures relevées
d’épices, de musc et d’ambre. Leur cuisine haute en couleurs est, comme leur
histoire, originale et savoureuse. On raconte que des flibustiers hollandais,
furieux de ne trouver ni or ni argent dans le navire qu’ils viennent d’enlever en
1585, jettent à l’eau des sacs remplis de matière brunâtre et rêche qu’ils
prennent pour du crottin de chèvre. Un siècle plus tard, cette
marchandise –le cacao- vaut de l’or .
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